RDC: Révision des contrats miniers : F. Tshisekedi «l’américain» Vs J. Kabila, «le Chinois»

Rencontre Félix Kabila à Nsele

Comment Washington a poussé Tshisekedi à renégocier les contrats miniers signés par Kabila avec la Chine (AI)

Le bras de fer lancé avec Pékin par le président congolais Félix Tshisekedi, qui a fait part de son intention de réviser l’ensemble des contrats conclus avec la Chine, a été largement inspiré et épaulé par les Etats-Unis.

Le président congolais Félix Tshisekedi (à gauche) lors d’une rencontre avec Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain de l’administration Trump, à Washington, le 3 mars 2020.

D’après les informations d’Africa Intelligence, les Etats-Unis, qui ne font pas mystère de leur soutien auprès de la présidence de Félix Tshisekedi, ont activement encouragé l’administration congolaise à renégocier les contrats miniers entre la Chine et la RDC. Si cette révision a été annoncée à la mi-mai par le dirigeant congolais lors d’un meeting à Kolwezi – soit quelques jours après les premières révélations d’Africa Intelligence , cela fait en réalité près d’un an et demi que ce dossier est en gestation au plus haut sommet de l’Etat, avec l’appui de Washington.

L’incitation américaine s’est notamment traduite, début 2020, par l’envoi d’une petite équipe d’experts spécialistes de la lutte anti-corruption et du droit minier auprès de la présidence congolaise et des ministères concernés. Dès septembre 2019, lorsque l’administration Tshisekedi a commencé à discuter avec le cabinet d’avocats Baker McKenzie, mandaté deux mois plus tard pour l’aider à renouer avec le Fonds monétaire international , elle avait prévu que les avocats américains puissent mener des audits anti-corruption dans le pays, voire que leur travail soit financé par des « tierces parties », comme le précise le contrat final signé entre le cabinet et Kinshasa.

Financés par le département d’Etat et le Trésor américain, les consultants envoyés à Kinshasa l’an dernier ont particulièrement étudié le contrat le plus emblématique des années Kabila, celui passé en 2007 entre l’Etat congolais et la Sicomines (Sino-congolaise des mines), une joint-venture associant la Gécamines (32 % des parts) aux entreprises chinoises Sinohydro, China Railway Group, Zhejiang Huayou Cobalt Co et China Machinery Engineering Corp (68 %).

Ce contrat, surnommé « infrastructures contre minerais », est depuis longtemps dans le viseur de certaines organisations, comme l’Initiative internationale pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), et de bailleurs internationaux comme la Banque mondiale, pour son manque de transparence. Selon le FMI, il était à lui seul responsable en 2019 d’une dette cumulée par la RDC envers la Chine évaluée à 2,56 milliards de dollars .

Outre le secteur minier, les limiers américains se sont également intéressés au contrat pour la rénovation de l’aéroport international de N’Djili, à Kinshasa, qui avait été confié sous Joseph Kabila aux entreprises chinoises Sinohydro et Weihai International Economic & Technical Cooperative (WIETC). Ce chantier, qui avance à pas de tortue depuis des années, a fait l’objet d’un contrôle fin mars 2021 par les enquêteurs de la jeune Agence de prévention et de lutte contre la corruption .

Un trio de la présidence Trump à la manœuvre

La politique américaine de soutien à Kinshasa a été définie à l’occasion des voyages effectués par Félix Tshisekedi à Washington – on en dénombre trois depuis son arrivée au pouvoir début 2019. Côté américain, trois personnalités de premier plan de la présidence de Donald Trump y ont pris part. Il s’agit de l’ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines Tibor Nagy, de l’ex-envoyé spécial dans la région des Grands Lacs de 2018 à 2020 J. Peter Pham et de l’ambassadeur des Etats-Unis à Kinshasa, le très influent et médiatique Mike Hammer, qui dispose de l’oreille attentive de Félix Tshisekedi. Sur ce trio, seul Mike Hammer a conservé son poste à la suite de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en janvier dernier. L’administration démocrate a choisi de poursuivre la politique congolaise entreprise sous Donald Trump, laissant le soin à Mike Hammer de coordonner le soutien américain auprès de Kinshasa. 

Un dossier géré par Jean-Claude Kabongo

A rebours de la lune de miel entre Kinshasa et Pékin observée sous Joseph Kabila, la politique de rapprochement avec Washington représente pour Félix Tshisekedi un puissant levier d’émancipation vis-à-vis de son prédécesseur à la présidence et ex-allié politique de circonstance, jusqu’à la rupture fracassante de l’hiver dernier. Elle lui permet de mettre en exergue les clauses des contrats jugées contraires aux intérêts du peuple congolais et d’en rejeter implicitement la responsabilité sur Joseph Kabila. Au sein de la présidence congolaise, le dossier de la renégociation des contrats miniers est conduit par le conseiller spécial du chef de l’Etat, Jean-Claude Kabongo. Comme Africa Intelligence l’a révélé dans son édition du 14/06/21, celui-ci mène des consultations en vue d’aider la RDC à réviser les contrats avec plusieurs cabinets d’avocats, dont Mayer Brown et Cleary Gottlieb, ainsi qu’avec la banque française Rothschild.

Pour les Américains, ce soutien est une manière de tourner la page des années Kabila, avec qui les relations étaient exécrables. Considéré par Félix Tshisekedi comme « le partenaire idéal », Washington profite également du rééquilibrage du jeu congolais pour avancer ses propres pions. Le géant américain General Electric (GE) a ainsi signé en février 2020 un Memorandum of Understanding avec Kinshasa pour investir en RDC près de 1,8 milliard de dollars. Ce projet a toutefois été mis en sommeil par la pandémie de Covid-19.

Africa Intelligence

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